« Ta femme, tes truffes, ton jardin, garde les bien de ton voisin »
prétend un proverbe périgourdin.
Une version malicieuse place même le champignon devant l’épouse, ce qui est dire l’énorme considération dont jouit la truffe, aussi nommée "diamant noir" dans une partie de l’Europe. C’est un produit non seulement précieux mais pour ainsi dire mythique.
Un mythe d’ailleurs très délibérément entretenu, attendu qu’il entre pour une bonne part dans le prix de la chose. C’est également une question d’origine. Quoique l’on sache aujourd’hui à quoi s’en tenir, la nature biologique de la truffe resta longtemps très mystérieuse. D’aucuns avançaient qu’elle provenait de la foudre, d’autres du diable, d’autres de quelque accident astronomique. Et comme on ne pouvait en maîtriser ni l’apparition, ni la disparition, cela ne pouvait qu’en augmenter le prestige. Son extraordinaire concentration aromatique, la nature de son parfum (aphrodisiaque chez les Romains, coupablement sexuel au moyen-âge) achevèrent d’en construire l’imaginaire. Aujourd’hui, il faut y ajouter, très largement, sa rareté.
La truffe n’a pas toujours été aussi rare. J’ai lu la lettre d’un poilu de 14 qui répondait à sa femme de ramasser les pommes de terre plutôt que les truffes, puisqu’elle ne pouvait pas tout faire… On croit rêver. Depuis, les guerres ont détruit bien des truffières, la sécheresse aussi. Autour de chez moi, en Provence, on trouve encore de très rares truffes sauvages, mais lorsque je vais acheter le pain à Saint-Saturnin, je ne manque jamais de me recueillir au moins trois secondes devant la statue de Joseph Talon, "le rabassier", père de la trufficulture. Sans lui, plus de brouillade ni de lièvre à la royale. On peut estimer que 95 % des truffes sont aujourd’hui cultivées. Peut-être plus.
Pour aller vite et ne pas se perdre dans les nombreuses sous-catégories, disons qu’il existe quatre bonnes truffes. Par ordre décroissant d’intensité aromatique, donc de prix :
La truffe blanche, la vraie (tuber magnatum) est exclusivement italienne voire piémontaise. Je rentre précisément d’Alba où elle culminait cette année à 5000 € le kilo. Il est vrai que sa puissance est incomparable, presque surnaturelle ; donc il en faut très peu, sinon l’odeur peut évoquer une fuite de gaz. Mais surtout les Italiens ont su en faire un produit quasi-religieux. Le problème, c’est que les produits dérivés, moins inaccessibles( huiles, purées etc.) n’incluent que très rarement de la magnatum mais des sous-variétés dopées à l’extrait, dont la célèbre "museau de chien", pure camelote. Si la truffe blanche est en effet magique, elle peut aussi engendrer d’amères désillusions. Sa saison est courte : octobre.
La truffe noire, dite également du Périgord quoiqu’elle provienne majoritairement des marchés provençaux (Richerenches, Aups, Carpentras…) se récolte, elle, de fin novembre à mars. On ne sait pas encore jusqu’où grimperont les prix cette année, attendu que le coup d’envoi réel se donne traditionnellement à la Saint Siffrein. Probablement plus de 1 000 € autour de Noël pour des raisons plus commerciales que qualitatives. L’amateur sait qu’elle est meilleure après le 15 janvier et moins chère. Ses arômes sont différents, moins concentrés, moins minéraux mais plus nuancés. Et la Périgourdine (tuber mélanosporum) a sur ses consœurs l’avantage qu’elle supporte mieux la cuisson. - Cela dit, moins la truffe se cuit et mieux elle se porte, quelle qu’elle soit. Notons pour finir qu’on trouve de la mélano dans le Châtillonnais et qu’il s’en cultive dans l’Yonne. Il paraît même qu’on en a cavé du côté de Nancy.
La truffe de Bourgogne (tuber uncinatum) fut un moment et très abusivement (une menée protectionniste masquée par des histoires de spores) déclassée en "champignon truffe" !! C’est en vérité une bonne truffe dont les arômes ressemblent à ceux de la mélano en deux fois moins puissant. Ce qui peut la rendre avantageuse, ça dépend de son prix. Cette année, on n’en trouve pas : été trop sec. Les tarifs sont par conséquent stratosphériques. Il faut aussi savoir que la Bourguignonne supporte très mal la cuisson et la congélation, ce qui interdit certaines manipulations : on ne peut pas, comme ailleurs, l’acheter à moindre prix pour la décongeler au plus fort du marché.
Quant à la truffe d’été, dite aussi de la Saint Jean (tuber oestivum), elle est noire dehors, blanche dedans, on peut la faire passer pour l’une ou l’autre. À condition de ne pas la manger. Sa saveur est faible. Mais comme elle est décorative et croquante, elle peut enjoliver une salade ou une sauce blanche. Crue, elle peut évoquer. Cuite, elle devient totalement insipide.
Un mot enfin sur la brumale, nommée "musquée" dans le sud. Elle ne mériterait pas une ligne, car elle sent le vieux chou rave, si de très rare qu’elle était, elle ne devenait endémique. Ce qui fait problème, car non lavée ou canifée, elle est indifférenciable de la mélano. Alors, on se fait enfler. Ce qui m’est arrivé, comme à bien d’autres. Donc, achetez plutôt des truffes lavées : la brumale a des reflets bleutés. Et si on vous explique que la brumale est une bonne truffe, un peu différente mais moins chère, partez en courant ; surtout si c’est une attendrissante mamie qui vous l’affirme avec son joli panier d’osier et son air du pays.
Car si, quand on aime, on ne compte pas, en cette matière, il vaut mieux ouvrir l’œil afin de ne pas passer soi-même pour une truffe.
Jean Maisonnave
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